Page:Lemaître - Les Contemporains, sér7, Boivin.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minorité imposante, la discipline ne laisse pas d’y être assez forte. Je crois que les bourgeois s’exagèrent beaucoup les dissensions de leurs ennemis. Elles cessent du moins dans les occasions critiques. Elles ne seraient sérieuses qu’au lendemain de la victoire. Un orateur révolutionnaire, à la Chambre, est à peu près sûr de n’être pas « lâché », d’être soutenu par les applaudissements, les cris et les hurlements des siens.

De là une griserie, et singulièrement entêtante. Il ne faut point faire fi de ces triomphes-là, et encore moins, je crois, de ceux des réunions publiques. C’est la que la popularité est vraiment un poison mortel à l’âme, un irrésistible opium. On y doit goûter d’âpres jouissances par le sentiment d’une communion parfaite avec des âmes véhémentes et frustes, par la conscience qu’on a de déchaîner et l’illusion qu’on se donne de diriger une puissance aveugle qui vous soulève, vous enveloppe et vous roule dans ses tourbillons ; — tout cela exaspéré encore par la lourde atmosphère des salles et par la brutalité même des sensations dont l’ouïe et l’odorat sont assiégés…

Il y a une ivresse physique, une sorte d’hystérie dans la révolte, et qui se multiplie quand on la partage avec une foule. Je me souviens de l’avoir sentie très nettement, à Paris, pendant le premier mois de la Commune, à lire les affiches et les journaux enfiévrés, à voir flamber dans les rues le drapeau rouge,