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On ajoute : « Qui presse tant les Crétois d’être Grecs ? Ils y perdraient ; ils payeraient plus d’impôts. » Cela, c’est leur affaire ; ce serait à eux de juger si le contentement de faire librement partie d’une plus grande communauté fraternelle ne compenserait pas quelque accroissement d’obligations et de charges. — On dit enfin : « Cette solution serait grosse de dangers. Qui sait si telles provinces actuellement « autonomes et tributaires » ne réclameraient pas, et peut-être par l’insurrection, le même traitement que la Crète ? » Cela est fort douteux, car j’imagine que ces provinces-là sont heureuses : mais, en tout cas, qu’aurions-nous à y perdre ? Il y a ceci de bon dans notre abaissement, que nul désordre en Europe, nulle éventualité orientale ne peut nous nuire, si nous savons croiser les bras, épier et attendre.

Au reste, quand j’indique ce que la France aurait pu proposer, je n’ignore point que sa proposition n’avait aucune chance d’être accueillie. La vieille Europe traîne un passé trop chargé de crimes. Il n’est presque pas une grande puissance qui n’ait derrière soi son injustice et sa rapine, et des sujets qui ne l’ont pas choisie. L’Europe nous eût répondu par le plus énergique non possumus ; soit : mais, ce refus enregistré, la France se retrouvait, dans le concert européen, en une tout autre posture morale. Elle eût dit ce qu’elle devait et seule pouvait dire ; et cela eût « délivré son âme ».