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six millions de rente. Je n’imagine pas qu’elle dépensât pour elle-même plus d’un demi-million, car elle n’avait pas de vices ; et, dans notre société aux mœurs peu fastueuses, il doit être difficile à une vieille femme, et qui vit seule, de dépenser davantage. Puis elle donnait aux pauvres… mettons un million. Et ainsi elle n’économisait que de quatre à cinq millions chaque année. Et cela, je le répète, est admirable, puisque enfin notre conception, toute romaine et toute païenne, de la propriété lui conférait le droit strict de capitaliser indéfiniment tout son revenu et de n’en pas détourner pour les autres un rouge liard.

Après quoi, jugeant avec raison qu’elle avait fait son devoir, et plus que son devoir, cette dame, sur ses cent quatre-vingts millions, s’est contentée de léguer trois cent mille francs à diverses bonnes œuvres. Qu’est-ce à dire encore ? C’est comme si, ayant cent quatre-vingt mille francs — et pas d’héritiers naturels directs — vous faisiez, après votre mort, largesse de quinze louis aux pauvres de Jésus-Christ. Mais en réalité, c’est encore moins, s’il est vrai que la proportion entre la part de jouissance légitime et la part d’aumône chrétiennement due soit fort différente, et même inverse, dans un avoir familial de cent quatre vingt mille francs et dans une fortune de cent quatre-vingts millions.

Toutefois, je crois comprendre ici la pensée de cette dame. Elle n’a voulu pratiquer que la charité