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quelque chose de plus. La vie d’Alfred de Vigny apparaît là comme un défi sublime. « La plus forte protestation contre le monde injuste et contre Dieu absent, c’est de m’appliquer à faire ce qui me permettra de m’estimer le plus. Moins le monde vaut, plus je vaudrai. » Ainsi raisonnait-il. Cela, sans l’ombre d’espérance. Sur le fondement de ce sentiment irréductible du devoir, Vigny aurait pu, comme d’autres, se rebâtir après coup toute une métaphysique encourageante. Il ne daigne ; il est désolé à fond. Mais il veut valoir, pour lui-même et pour jouir solitairement de son propre prix. Et nous voyons dans ses lettres la magnifique fructification de cet orgueil.

C’est à cet orgueil, d’abord, qu’il doit sa conception, très aristocratique et presque sacerdotale, de la mission du poète. Et c’est cette conception qui lui donne la force de vivre à l’écart, dans sa « tour d’ivoire », de rechercher la gloire peut-être, jamais le succès ni la popularité, de n’écrire que pour dire quelque chose et, par suite, de n’imprimer que tous les dix ou vingt ans : irréprochable vie d’écrivain, et à laquelle on ne peut comparer que celle d’un Flaubert ou d’un Leconte de Lisle.

Cet orgueil le sauve de la vanité, aussi sûrement que le ferait l’humilité elle-même. L’orgueil sait se passer d’autrui. L’étalage que Chateaubriand et Lamartine font de leur personne répugne à Vigny comme une prostitution. Et pourtant il les traite