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Les idées de Vigny, vous les connaissez. Le monde est mauvais ; l’injustice y règne, et la douleur ; le monde comme il est serait une infamie si Dieu existait ; la nature est insensible et cruelle ; toute supériorité condamne à un plus grand malheur ceux qui en sont affligés… Donc il faut se taire, se résigner, demander à la nature non une consolation, mais un spectacle, avoir pitié de la vie — de très haut — sans jamais se plaindre pour son compte.

Ce pessimisme est absolu, assez simple en somme, original seulement par son intensité. Il se confondrait avec le nihilisme philosophique, n’étaient les conclusions (arbitraires, il faut le dire).

Ce qui est admirable, c’est que, portant dans son esprit cette négation et dans son cœur ce désespoir, — et croyant, dans le fond, à moins de choses encore qu’un Sainte-Beuve, si vous voulez, ou un Renan, — Alfred de Vigny ait fait toute sa vie, avec une exactitude attentive, les gestes de son rôle social : gentilhomme accompli ; très bon officier ; royaliste intransigeant ; fidèle, sous Louis-Philippe, à la branche aînée ; respectueux de la religion ; homme du monde peu répandu, mais fort convenable en discours : de sorte que ceux de sa caste purent croire que, sauf dans ses vers (mais des vers, n’est-ce pas ? ce n’est que de la littérature), le comte de Vigny fut vraiment des leurs.

Les lettres à la petite cousine nous apprennent