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laisse aux fidèles sur certains points douteux, il la refuse, il n’en a que faire. Il n’a jamais été troublé le moins du monde de ce qui indignait si fort un Proudhon ou un Michelet et, par exemple, de ce que suppose d’arbitraire divin la théorie de la grâce. Bon et tendre comme il était, il parle à l’occasion et sans vergogne de l’enfer, sur qui les prêtres « éclairés » glissent volontiers. Il y plonge Voltaire et quelques autres avec une sainte allégresse. Sa foi est intrépide, va jusqu’à lui donner l’apparence de sentiments qui sont peu dans son caractère. Il lui arrive de renchérir sur le charbonnier.

Un des lieux communs de notre littérature lyrique et romanesque, c’est le « supplice du doute ». À mon sens, c’est assez souvent une plaisanterie. Je ne crois que difficilement à la douleur métaphysique. Du moins, j’ai connu des esprits, même éminents, qui ne souffraient pas du tout de ne pas croire, et à qui il ne semblait point nécessaire, pour vivre, de tenir l’explication du monde. Veuillot est aux antipodes de cette famille d’esprits. Oui, le doute pour lui eût été bien réellement « un supplice ». L’intrépidité de sa foi et même la hardiesse des jugements qu’elle lui inspire sur les affaires de ce monde recouvre et suppose, à l’origine, l’horreur de l’incertitude et de la solitude, l’impossibilité de durer dans la non-affirmation, l’impérieux besoin de support et de magistère, en somme le frisson de je ne sais quelle peur irréductible, la peur du noir, celle qui jette les