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Les transformations historiques, dont M. Corréard vous signalait la majestueuse et fatale lenteur, ont abouti, chez nous, vous le savez, à l’émancipation de l’individu. Un des résultats de cette émancipation, c’est que, plus que nos aïeux, nous sommes obligés d’inventer, si je puis dire, nos devoirs envers les hommes.

Or, du moment que c’est à nous de les inventer, nous sommes tentés de les restreindre, cela est triste à dire. Et, par exemple, il est bien vrai que l’égalité des citoyens est inscrite dans nos lois, qu’il n’y a plus de castes et que, en théorie, tout est devenu accessible à tous. Mais, en fait, s’il n’y a plus de classes politiques, il y a toujours des classes ou des compartiments sociaux, et les riches et les pauvres sont peut-être plus profondément séparés aujourd’hui par les mœurs qu’ils ne l’étaient autrefois par les institutions. Pourquoi ? C’est sans doute que les liens s’offrent, d’eux mêmes, plus nombreux et plus étroits entre les membres d’une société fortement et minutieusement hiérarchisée, comme était l’ancienne, qu’entre dix millions de têtes supposées égales.

Eh bien, ces liens qui ne nous sont plus imposés par les institutions ou les traditions ou les croyances, nous devons essayer de les renouer nous-mêmes. Ces liens de jadis, liens d’obéissance et de commandement, de fidélité et de protection, il faut les remplacer par des liens de charité.