Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/383

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans leurs modes, et l’auteur les décrit avec une habileté rapide et qui reste décente, mais qui n’est point timide. Ses deux damnés ne redoutent ni les garnis modestes qui avoisinent les gares, ni les guinguettes à fritures, ni l’humidité des futaies. Ce qui les tient, c’est bien le durus amor, celui qui, comme dit le poète Lucrèce :

 …in silvis jungebat corpora amantûm.

C’est, dis-je, l’amour sensuel, car les autres amours ne tuent pas. Ni Dante ni Pétrarque ne troublèrent jamais de leurs violences Béatrice et Laure ; et Elvire mourut sans avoir été bousculée par Lamartine. Le seul amour tragique est l’amour des sens. C’est celui de Didon, qui défaillit dans une grotte, pendant un orage, et se poignarda sur son bûcher. C’est celui de Phèdre qui meurt, d’Ériphile qui dénonce, d’Hermione qui fait tuer, et de Roxane qui tue. Il est impossible d’hésiter sur la nature de cet amour, malgré la pudicité du style. Roxane adore Bajazet sans lui avoir jamais parlé : on ne saurait donc dire que c’est l’âme de ce jeune prince dont elle est éprise.

Or cet amour-là, étant essentiellement la recherche de la sensation, — soit qu’on n’y apporte aucun choix, soit, au contraire, qu’on la demande à une créature en particulier, et à celle-là seulement, — s’accommode, dans le premier cas, avec la plus complète insouciance de la personne, et, dans le second