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Sous l’ancien régime, même sous la Restauration, sa carrière eût été toute tracée. Il eût été dans les grandes charges de l’armée, du gouvernement ou de la diplomatie. Sa rêverie se fût dissipée en action. Gentilhomme éclairé, à tendances libérales, il eût écrit, dans ses vieux jours, des Mémoires où l’on remarquerait de la finesse et de l’élévation. Son existence aurait été, en dépit de quelques agitations de surface, harmonieuse et paisible. Mais aujourd’hui la vie est plus difficile aux descendants de l’ancienne aristocratie, quand ils ne sont pas très riches et quand ils ne se résignent ni à l’oisiveté ni à la nullité. Ils ne trouvent plus leur place faite. Ils ont plus de peine à se faire nommer députés qu’un cabaretier ou un coiffeur… Et ainsi, M. de Vogüé semble d’abord exilé dans son temps.

Mais voici qui lui est plus particulier. Ce temps, il l’a aimé. Il en a connu l’âme souffrante ; et, comme il prend tout très au sérieux, il est un des premiers qui se soient employés à la guérir. Pour cela, il a découvert l’Évangile. Il l’a découvert dans le roman russe, vous n’avez pas oublié avec quel succès. Il a jugé que Balzac, Sand et Flaubert ensemble étaient bien peu de chose auprès de Léon Tolstoï ou de Dostoïewsky… C’est presque toujours à des étrangers qu’il a demandé son aliment spirituel. Et ainsi, tout en l’aimant, il a semblé exilé dans son pays.

D’autre part, il a l’esprit inquiet, généreux et