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travail, non la pauvreté, non la peine, mais la grande iniquité sociale, l’impiété, par laquelle est ravie aux petits de ce monde la compensation que Dieu voulut attacher à l’infériorité de leur sort. Et je sentis l’anathème éclater dans la véhémence de ma douleur.

Oui, ce fut là ! Je commençais de connaître, de juger cette société, cette civilisation, ces prétendus sages. Reniant Dieu, ils ont renié le pauvre, ils ont fatalement abandonné son âme. Je me dis : — Cet édifice social est inique, il sera détruit. J’étais chrétien déjà ; si je ne l’avais été, dès ce jour j’aurais appartenu aux sociétés secrètes.

Jamais conversion religieuse ne fut, dans ses mobiles profonds, plus pitoyable aux hommes, plus soucieuse des souffrants, plus « populaire ». Longtemps avant le coup de la grâce, le catholicisme commençait d’apparaître à Veuillot comme le grand et seul remède aux maux humains : aux troubles de l’âme par la certitude ; aux souffrances et aux injustices sociales, soit par la charité chrétienne, soit par la sanction après la mort.

Ce fut dans ces dispositions qu’il alla à Rome. C’est le lieu par excellence des « retraites », celui où se nourrissent le mieux les rêves : rêves d’art, rêves de volupté, rêves de perfection morale. L’atmosphère y est pleine de souvenirs et comme saturée d’âme. J’ai dit que Veuillot était peut-être par-dessus tout un homme de sentiment, un poète : la Rome catholique s’empara de lui tout entier, et avec une force inouïe. Par la vertu des témoignages sensibles, des symboles qui y sont accumulés, et dont il subis-