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la solitude de mon cabinet… » etc.) J’ajoute qu’il est à la fois bien plus honnête homme que la plupart des Encyclopédistes et, permettez-moi le mot, moins « gobeur ».

Par le style aussi, La Bruyère nous est tout proche. Le nom de « styliste » semble inventé pour lui tout exprès. Il a des détours et des recherches qui sont un délice ; il a le trait et il a la couleur. Il est de ceux « pour qui le monde matériel existe », selon la formule de Gautier. Plusieurs de ses tableaux et de ses portraits sont d’un réalisme très franc dans sa sobriété. La Bruyère mort, il se passera plus de cent ans avant que son pittoresque se retrouve.

Que ne rencontre-t-on pas dans son livre ? L’histoire d’Émire, au chapitre des Femmes, est un roman en cent lignes, ce qui est sans doute la vraie mesure du roman psychologique : car il y a des longueurs dans les quatre-vingts pages de la Princesse de Clèves (je ne compte pas les épisodes), et des redites dans les soixante pages d’Adolphe.

La Bruyère est tout plein de germes. Sa philosophie, — sentiment profond de la suprématie de l’esprit, amertume tempérée par le plaisir de voir clair et d’être supérieure ce qui nous offense, — est une sorte de néo-stoïcisme, qui peut servir encore. Il a fait sur les femmes les remarques les plus audacieuses (que ne puis-je citer !) et a dit sur l’amour les choses les plus pénétrantes. (« L’on veut faire