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deux cents lieues qui la séparaient de cette sèche personne lui permettaient de l’embellir plus aisément, d’adorer l’image qu’elle s’en formait et de ne pas se brouiller avec le modèle. Il est d’ailleurs certain que l’ « idée fixe », l’obsédante représentation de l’objet idolâtré exerce plus pleinement les puissances de l’âme que ne ferait sa présence réelle.

Mme de Sévigné avait fort bien laissé Marguerite au couvent jusqu’à dix-huit ans, et l’on sait que, lorsque la mère et la fille se rencontraient, elles ne pouvaient s’entendre. Ce n’est point que la furieuse tendresse de Mme de Sévigné ne fût profondément sincère : mais il lui fallait, pour se déployer à l’aise, la mélancolie que laisse l’éloignement et l’illusion qu’il entretient. Elle pratiquait alors l’amour maternel comme un « sport » quasi tragique, où elle s’employait et se tendait toute.

Il y a, dans les pages brûlantes où elle traduit ce culte de dulie, de la gageure et de l’autosuggestion. Mme de Sévigné a passé sa vie à adorer une Ombre — comme sa grand’mère sainte Chantal. Et cela la détourna de mal faire.

C’est par là surtout qu’elle fut intéressante ; et c’est par là seulement que souffrit cette créature joviale. Ses plaintes sont discrètes, mais d’autant plus significatives. « Ce n’est pas une chose aisée à soutenir, écrivait-elle un jour à Mme de Grignan, que la pensée de n’être pas aimée de vous : croyez-m’en. »

Et, tandis qu’elle se consumait pour cette pédante