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si violentes, et qu’il crée ses délicieuses femmes damnées.

Toutefois, on a contesté que ce poète de l’amour tragique ait entièrement éprouvé pour son compte ce qu’il décrivait si bien. On a dit qu’il eut pour la du Parc, puis pour la très galante Champmeslé, flanquée du plus complaisant des maris, un amour en apparence assez tolérant. Mais, outre que nous ignorons ce qu’il put souffrir, il est trop clair que les âmes les plus délicatement impressionnables et tendres, les plus « amoureuses d’aimer », sont celles qui répugnent le plus à ce qu’il y a de nécessaire dureté, de brutalité — et de haine — dans l’amour-maladie. Et l’on sait enfin que, chez l’artiste, la passion s’amortit toujours un peu par la conscience qu’il en prend, et parce que ses propres sentiments lui deviennent « matière d’art ». Si Racine avait aimé comme l’Oreste d’Andromaque, jamais il n’aurait su peindre l’amour.

Or, tandis qu’il offrait aux hommes assemblés des spectacles d’une volupté noble, mais pénétrante, toutes les religieuses et les saintes femmes de sa famille (il y en avait beaucoup), et le grand Arnauld, et le bon M. Nicole, et le bon M. Hamon priaient pour l’enfant égaré. Et c’est pourquoi Racine s’aperçoit un jour que Phèdre était trop charmante ; et il accomplit le sacrifice le plus extraordinaire qu’ait enregistré l’histoire de la littérature : il tue en lui l’homme de lettres, à trente-huit ans.