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che à nos plaisirs, il nous affranchit de nos servitudes. Il satisfait en nous ce désir de liberté, d’indépendance à l’égard des choses, de suprématie sur ce qui est soumis aux lois du hasard et de la force brutale. L’ascète tressaille de joie de ne plus se sentir lié aux choses, aux hommes, aux événements, de ne rien voir que d’en haut ; et le fond humain revit dans cet orgueil épuré. « Celui qui ne désire point de plaire aux hommes et qui ne craint point de leur déplaire jouira d’une grande paix. Quoi de plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre ? »

Je me demandais ce qu’il y a de commun entre ce saint et nous. Il y a ses négations, il y a sa mélancolie. Le pessimisme est la moitié de la sainteté : c’est, dans l’Imitation, cette moitié-là qui nous rend indulgents à l’autre. Nous y cherchons les moyens, non de nous sanctifier, mais de nous pacifier ; non un cordial, mais un calmant, un népenthès ; non la rose rouge de l’amour divin, mais la fleur pâle du lotus, qui est la fleur d’oubli. J’ai toujours eu envie de mettre pour épigraphe symbolique à ce petit livre la phrase de Quincey : « Ô juste, subtil et puissant opium, tu possèdes les clefs du paradis ». Nous prenons pour point d’arrivée ce qui est pour le pieux solitaire le point de départ. Nous apprenons de lui, aujourd’hui encore, non pas à vivre en Dieu, mais à vivre en nous, et de façon à ne point souffrir des hommes.