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chargés d’âme. Et il est vrai que tout cela ne forme que quelques centaines de vers.

Le reste… Oh ! Le reste est le comble de l’art, et même de l’artifice. Rien de moins spontané. Virgile est le premier des poètes de cabinet. Il détourne et combine Homère, Hésiode, les tragiques grecs, Apollonius, Théocrite et Lucrèce dans ce qu’on appelait autrefois d’industrieux larcins. Il fut un poète officiel, un poète lauréat, un Tennyson.

L’Énéide est un miracle d’ingéniosité, un extraordinaire tour de force. C’est un poème national, fait avec foi, mais sur commande. Le programme était dur. Il fallait insérer dans le récit épique Rome entière, l’histoire de Rome depuis les origines jusqu’à la bataille d’Actium, la légende des vieilles races qui avaient peuplé d’abord le sol italien, une sorte de livre d’or de la noblesse, qui se disait sortie des compagnons d’Énée ; toute la religion romaine, les dieux indigènes, les dieux helléniques latinisés, les vieilles divinités locales, les mœurs et usages publics et privés du peuple romain, etc… Virgile y a réussi. L’Énéide est un chef-d’œuvre de mosaïque, exécuté par le plus patient des poètes alexandrins.

Virgile mit trente ans à composer les douze mille vers qu’il nous a laissés. Dans les parties de son œuvre qu’on lit le moins, sa poésie est merveilleusement pittoresque et plastique. Celle de M. Leconte de Lisle et de M. de Heredia y ressemble beaucoup.

Ce qui est tendre paraît plus tendre, ce qui est