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et d’une sanction d’outre-tombe. Bref, la morale évangélique poussée à ses plus extrêmes conséquences, et en même temps vidée de la métaphysique qu’elle suppose. Le devoir d’être bon jusqu’à l’immolation de soi ; mais aucun support de ce devoir, sinon que nous mourrons tous (vérité qui prêterait tout aussi bien à une conclusion égoïste et épicurienne) et qu’il est naturel que nous soyons tous pénétrés de pitié et de bonté les uns pour les autres, étant tous guettés par l’immense et éternelle nuit. Ce sont ces ténèbres de la mort et de l’inconnu qui servent de toile de fond, dans ses romans, aux drames fourmillants de la vie, et qui se glissent dans les interstices de ces tableaux mêmes. Et c’est tout ce mystère, enrayant d’abord, puis rafraîchissant, conseiller de renoncement, de vertu, de bonté, — pourquoi ? parce que Tolstoï l’a voulu ainsi, — qui sans doute ne fut jamais, à ce point, présent à nos oeuvres occidentales.

J’ajoute encore que le réalisme de ces étrangers est plus chaste que ne fut le nôtre. L’oeuvre de chair tient assez peu de place dans leurs oeuvres, et certes je les en loue. J’observe toutefois que, si la réalité est peut-être moins impudique qu’elle n’apparaît dans quelques-uns de nos romans réalistes, elle l’est certainement beaucoup plus que les romans anglais ou russes ne nous le feraient croire. Nous sommes plus véridiques à cet égard. Si c’est là une supériorité, je l’ignore ; mais notre réalisme, plus sensuel,