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d’où je ne puis plus sortir. Je ne sais rien à quoi ne morde cette rage d’aimer. L’autre jour, en lisant Plutarque, j’étais épris de Cléopâtre. Jugez par là du reste. »

Si je ne me trompe, Veuillot à vingt-quatre ans était, ou peu s’en faut (car tout recommence), dans la disposition d’âme de ces jeunes gens d’aujourd’hui qui sont inquiets de Dieu et de l’humanité et qui cherchent à la fois la vérité religieuse et la solution des questions sociales, — à cette différence près que ces jeunes hommes dont je parle sont beaucoup plus instruits que ne l’était alors Veuillot, qu’ils connaissent les philosophes, qu’ils sont surveillés et arrêtés, après tout, par leur propre esprit critique, et qu’il est à craindre que leur raison trop exercée ne leur permette jamais de faire ce « saut dans le gouffre », qui est peut-être le saut dans la lumière.

À ce moment où le petit journaliste défendait à Périgueux le gouvernement des satisfaits, tout en songeant à part lui qu’il faisait peut-être une besogne honteuse, — s’il avait rencontré sur son chemin quelque théoricien du socialisme, imposant par sa foi, ardent de langage, austère de mœurs et sacerdotal d’allures, comme il s’en est trouvé, il n’est pas déraisonnable de supposer qu’il eût suivi cet apôtre en lui disant : « C’est vous la vérité et la vie ». Il y avait certes, dans Veuillot, de quoi fournir une carrière admirable de révolté. Comme il était courageux et batailleur, il n’eût pas manqué une barricade et