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à percevoir, dans ses moindres nuances, ce qui constitue le « style » de chaque écrivain. Cela, je pense, n’arrive guère. Je vois que les plus savants hommes, les plus accomplis polyglottes étrangers, ne parviennent jamais à sentir comme nous la phrase d’un Flaubert ou d’un Renan. Cette incapacité apparaît lorsqu’ils s’avisent de classer nos écrivains : ils mettent ensemble les grands et les médiocres. De même le style des écrivains étrangers doit toujours nous échapper en grande partie. Je suis tenté de croire qu’on peut savoir très bien plusieurs langues, mais qu’on n’en sait profondément qu’une. L’espèce de volupté que nous cause la forme chez nos grands artistes, il est certain que ni Eliot, ni Tolstoï, ni Ibsen, ne nous la procureront jamais.

Je sais bien que nous les avons lus surtout dans des traductions. Mais alors on me dira que leur supériorité n’en est donc que plus grande, si elle a pu éclater à certains yeux, même sans le secours du style. À quoi il est aisé de répondre que ce que ces auteurs perdent d’un côté à être traduits, ils le regagnent d’un autre, et avec usure. J’ai tâché d’expliquer cela la première fois que j’ai abordé le théâtre d’Ibsen.

Parfois, disais-je, chez les écrivains de mon pays, même chez les meilleurs, — et surtout chez les romantiques, — je discerne et je sens quelque phraséologie, une rhétorique inventée ou apprise, des artifices systématiques de langage ; et il arrive