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de l’Anglaise Georges Eliot. Jamais la haute équité de Flaubert ne se fût permis les lourdes railleries dont Eliot accable, avec une insupportable abondance, les petites gens du Moulin sur la Floss. Et les humbles qu’elle aime, je sens trop qu’elle « condescend » à les aimer ; qu’elle est à leur égard dans la disposition d’âme artificiellement chrétienne d’une protestante philosophe et éclairée, en visite chez des inférieurs. Au moins, chez Flaubert, il n’y a pas trace de cette affreuse condescendance.

Qu’il méprise les petits bourgeois d’Yonville, cela est possible, mais cela ne ressort pas nécessairement de ses peintures, et nous n’en avons jamais le témoignage direct. Il n’a point de bienveillance philanthropique et confessionnelle, mais n’a point de haine non plus pour sa bande d’imbéciles. Après l’avoir lu, on a l’impression qu’on dînerait volontiers, à quelque grasse table normande, avec le père Rouault, Charles Bovary, la mère Lefrançois, l’abbé Bournisieu, qui ferait au dessert des calembours opaques, même avec le pharmacien Homais. Plus sûrement que chez Eliot (car ici nul étalage de cordialité ne me met en défiance), je devine chez Flaubert une espèce d’affection spéculative pour ces êtres qui représentent tout le monde, qui sont à peine responsables, qui, avec beaucoup d’égoïsme, ont quelque bonté, qui travaillent et qui peinent comme nous…

Les soixante dernières pages de Madame Bovary sont si étrangement douloureuses que j’ose à peine