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heureux, disposé à tout comprendre et à tout aimer dans la création. L’évolution intellectuelle de notre philosophe est achevée ; il est parvenu à l’avatar suprême, l’indifférence mystique. »

Rien ne m’étonne plus que l’étonnement de ceux qui ont cru découvrir, dans ces pages, la charité, la pitié, le respect de la bonté et de la beauté morales offusquées par d’humbles et sordides apparences. Ai-je besoin de faire remarquer que Victor Hugo et les romantiques n’avaient point attendu Dostoïewsky ni Tolstoï pour nous montrer des prostituées qui sont des saintes, ou des mendiants et des misérables qui possèdent le secret de la sagesse et de la charité parfaite ? Tout le caractère de Sonia consiste dans une antithèse romantique. À vrai dire, il est extraordinairement difficile de concevoir sa sainteté si l’on se représente avec quelque précision le métier qu’elle fait. Il faut d’abord admettre que, dans le cours de ses immolations quotidiennes, Sonia n’éprouve jamais le plus petit plaisir. Car, si la victime s’amuse, nous nous méfions. Son infamie cesse tout à fait d’être sublime si elle cesse un instant d’être douloureuse. Il y a plus : le haut sentiment religieux dont elle paraît animée rend à peu près incompréhensible le genre de sacrifice auquel elle a consenti. Étant donné sa foi en Dieu et l’idée qu’elle se fait de cette vie transitoire, elle ne devait, elle ne pouvait que se laisser mourir avec ses parents. Au moins la Fantine des Misérables