Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/246

Cette page n’a pas encore été corrigée

naissait peu la littérature française contemporaine, demeurait possédé par la science et le génie allemands et mettait un Goethe, ou même un Herder, au-dessus de ce qu’il y a de mieux chez nous. Et Taine estimait que nous n’avons rien de comparable, à Shakspeare d’abord, cela va de soi, mais aussi aux poètes et aux romanciers anglais contemporains.

Car, tandis qu’au XVIe et au XVIIe siècle, c’était le Midi, l’Espagne, l’Italie, c’est, depuis bientôt deux siècles, le Nord surtout qui nous attire. Cette attirance a eu, bien entendu, ses sursauts et ses répits. Mais notre dernier accès de septentriomanie a été particulièrement violent et prolongé. Il dure encore.

Il a commencé, je pense, voilà une douzaine d’années, en haine des brutalités et des prétentions « naturalistes », par le culte, aujourd’hui peut-être un peu oublié, de Georges Eliot. À cette époque, MM. Edmond Schérer et Émile Montégut nous démontrèrent à l’envi, dans d’éloquentes et profondes études, que Georges Eliot l’emportait de beaucoup sur tous nos conteurs réalistes. Puis, M. de Vogüé nous révéla magnifiquement Tolstoï et Dostoïewski, et, devant ceux-là encore, nos pauvres romanciers ne pesèrent pas lourd. On adora l’évangile russe, et tout le monde se mit à tolstoïser. En même temps, le Théâtre-Libre joua la Puissance des Ténèbres, et je ne sais plus quelle troupe nous donna l’Orage d’Ostrowski. Enfin Ibsen eut son tour d’apothéose. Toutes ses dernières pièces (depuis 1886)