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à une fureur, est un bond sur une proie, s’accompagne de griffes enfoncées dans la chair. Les anciens le savaient, que l’amour n’est pas bon, et qu’il contient, « virtuellement », le goût de faire souffrir. Et c’est d’après eux que l’excellent mythologue Théodore de Banville, dans ses Exilés, ayant conté « l’éducation de l’Amour » dans une forêt, parmi les fauves, termine ainsi :

  Et c’est pourquoi tu fais notre dure misère,
  C’est pourquoi tu meurtris nos âmes dans ta serre,
  Amour des sens, ô jeune Éros, toi que le roi
  Amour, le grand Titan, regarde avec effroi,
  Et qui suças la haine impie et ses délices
  Avec le lait cruel de tes noires nourrices.

Il est difficile d’expliquer ces choses, mais on les conçoit pourtant. On conçoit que la recherche contradictoire d’on ne sait quel infini dans la sensation égoïste arrive à « déshumaniser » ceux qui s’y abandonnent tout entiers. Chaque tentative que fait l’amour des sens pour s’assouvir aboutit forcément à une déception qui l’exaspère. La possibilité de l’assouvissement recule à mesure que les expériences se multiplient. Et plus leur fureur croît, et plus la sensation s’émousse : et de là une rage par laquelle le désir de sentir se confond enfin avec le désir de détruire. Or, à l’homme atteint de cette démence, la joie de la destruction est surtout sensible par la souffrance des autres, quand cette souffrance est