Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée

cinq ans avant que les Dialogues philosophiques ne fussent écrits.

Or, on a trouvé absurde que ce rêve affreux de civilisation uniquement industrielle et urbaine, de panmécanisme et d’aristocratie scientifique, renvoyé par Renan à un très lointain avenir, Lamartine l’eût placé aux premiers âges de l’humanité. Et je dis, moi, que c’est là un anachronisme admirable, tout plein du plus beau sens moral, et plus vrai que la réalité même et que l’histoire.

Car, par ce renversement des temps, par cette juxtaposition hardie d’une société ignorante et à demi sauvage et d’une société très civilisée et très savante, mais horriblement injuste et impitoyable, Lamartine nous signifie que celle-ci a beau devoir être séparée, historiquement, de celle-là par des siècles et des siècles, elle en est moralement toute proche ; que ces deux sociétés, l’une très primitive et l’autre très « avancée », mais l’une et l’autre sans Dieu, ne sont que deux formes de la même barbarie et que, des deux, c’est la seconde qui est la pire. Il exprime par là que ce qui est décoré du nom de progrès par l’illusion de quelques positivistes et de la plupart de nos politiciens, le progrès des sciences, et particulièrement de la physique, de la chimie et de la mécanique appliquées à l’industrie, n’a rien à voir ni avec le progrès moral, ni même avec le progrès du bien-être pour le plus grand nombre, — et qu’il n’est donc pas le progrès. Remar-