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Les tyrans positivistes dont nous parlons se feraient peu de scrupule d’entretenir dans quelque canton perdu de l’Asie un noyau de Bachkirs ou de Kalmouks, machines obéissantes dégagées des répugnances morales et prêtes à toutes les férocités… Les forces de l’humanité seraient ainsi concentrées en un très petit nombre de mains et deviendraient la propriété d’une Ligue capable de disposer même de l’existence de la planète et de terroriser par cette menace le monde tout entier. Le jour, en effet, où quelques privilégiés de la raison posséderaient le moyen de détruire la planète, leur souveraineté serait créée ; ces privilégiés régneraient par la terreur absolue, puisqu’ils auraient en leur main l’existence de tous ; on peut presque dire qu’ils seraient dieux et qu’alors l’état théologique rêvé par le poète pour l’humanité primitive serait une réalité. Primus in orbe deos fecit timor. »

Renan, il est vrai, suppose que ces tyrans seraient bons. Il le suppose parce que cela lui fait plaisir, et bien que la nature même des moyens de compression qu’il leur prête et le fait même de tourner la science en instrument de domination et de terreur soient peut-être contradictoires à l’idée de bonté. Mais supposons que, par un malheur, les « tyrans positivistes » de Renan ne soient pas bons ; et nous aurons tout justement les hommes-dieux savants et méchants (« science sans conscience est la ruine de l’âme ») conçus par Lamartine trente-