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établissent leurs enfants ; Jocelyn a des rhumatismes et Laurence des gastralgies ; ils se soignent ; ils font des bésigues ; un jour ils meurent. Oh ! mon Dieu, tout cela est très bien, et la plupart des hommes ne rêvent point une autre destinée. Mais est-ce cela que vous voulez, brillant Deschanel et austère Vinet ? Et trouvez-vous cela très intéressant ?… Soit. Mais alors avouez que votre Jocelyn a eu bien tort de se donner tant de mal et d’aspirer si haut ; que ce n’était pas la peine de sanctifier son adolescence par un si beau sacrifice, puis de connaître la chasteté paradoxale de l’union de deux âmes dans une solitude paradisiaque, pour aboutir à ce petit ménage bourgeois — (voyez-vous les anciennes soutanes du mari utilisées par la femme en jupons de dessous ?) — et qu’enfin l’histoire ne valait plus guère la peine d’être contée, ou plutôt qu’il ne reste rien, rien du tout, de ce qui devait être le poème du sacrifice idéal.

La pensée de Lamartine n’est jamais fade ni basse. Il est le poète de l’amour, oui, mais de l’amour « qui tend toujours en haut » (le Banquet, l’Imitation) ; et c’est pourquoi il a toujours conçu quelque chose de supérieur aux amours, — permises sans doute, belles quelquefois, mais toujours forcément égoïstes et médiocrement profitables à la communauté humaine, — d’un jeune homme et d’une jeune femme. Il lui est même arrivé (Graziella) de mettre quelque dureté dans l’aveu de ce sentiment. Jamais il n’a donné, comme Hugo, Musset ou Sand,