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poésie, la couleur, l’abondance, la magnificence, l’accent… Oui, je trouve dans les Harmonies quelque chose qui n’est pas chez les poètes grecs, qui n’est pas dans Jean-Jacques, qui n’est pas dans Chateaubriand, qui n’est pas dans George Sand ni dans Victor Hugo : une sorte d’ébriété sacrée au spectacle et au contact de l’immense univers. Hugo lui-même, visionnaire, reste beaucoup plus séparé des objets qu’il décrit et des visions, le plus souvent terribles, où il les déforme. L’âme de Lamartine, autant que cela est concevable, se dissout délicieusement dans les choses… Il peut dire avec vérité :

 Mon âme est un torrent qui descend des montagnes
  Et qui roule sans fin ses vagues sans repos.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
        Mon âme est un vent de l’aurore
        Qui s’élève avec le matin…

Il est dans cet état de ravissement et d’allégresse divine où nous sommes tous entrés quelquefois, surtout parmi des paysages vastes et découverts, qui évoquaient en nous l’image de l’immensité et la beauté totale et la figure même de la planète, sur la montagne ou au bord de la mer lumineuse ; quand nous descendions, dans l’air léger, presque délivrés du sentiment de la pesanteur, vers les vallées doucement bruissantes de l’invisible sonnerie des troupeaux ; ou quand nous marchions l’été, dans une grande plaine, par un grand soleil, tout enveloppés