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L’amour platonique. — Le fâcheux esprit gaulois s’en est beaucoup égayé. La théorie de Platon sur l’amour n’a pourtant rien de ridicule, il s’en faut. En somme, elle repose sur l’expérience. Montaigne a beau dire, en parlant de La Boétie : « Je l’aimais parce que c’était lui ». Cette délicieuse tautologie « explique » pourquoi l’on aime, mais non pas pourquoi l’on s’est mis à aimer. On commence d’aimer une personne parce qu’on croit voir en elle une conformité à un certain idéal que l’on portait en soi, et qui déjà la dépasse. Le débauché lui-même, qu’aime-t-il, au bout du compte, sinon une « idée » de plaisir dont il cherche la réalisation ? L’amour de don Juan, c’est donc encore l’amour platonique. Nous aimons toujours, pour ainsi dire, par delà ceux et celles que nous aimons ; et la preuve, c’est que nous ne les aimons jamais tels qu’ils sont, ni tels qu’ils apparaissent aux autres hommes, mais tels qu’il nous plaît de nous les représenter. Il y a longtemps, un de mes amis définissait l’amour platonique, au moins par un de ses effets, dans ces vers grêles et secs, pas du tout lamartiniens, mais qui disent ce qu’ils veulent dire :

  Je ne sais pas (car tout le jour
  Ses yeux clairs me hantent sans trêve)
  Si c’est elle ou si c’est mon rêve
  Que j’aime d’un si grand amour.

  Parfois, ma tendresse blessée
  Saigne et s’effraye obscurément