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de « détruire » de la vie, en eût « créé », puisqu’elle eût provoqué en moi des mouvements profitables, en somme, à ma vie morale. Mais il se trouve que la critique, appliquée à la personne de Lamartine, ne compromet que fort peu sa légende, ou même (on pourrait aller jusque-là) la modifie et la précise à son avantage.

Au surplus, qu’est-ce que la « légende » de Lamartine ? Celle, apparemment, qu’il a arrangée lui-même dans ses Confidences et ses Commentaires et que la foule a acceptée. L’image résumée qui s’en dégage, — quoique d’ailleurs plus d’un endroit des Confidences y contredise un peu, — c’est quelque chose d’assez ressemblant à la vignette de certaines éditions anciennes des Méditations poétiques : un long poète sur un promontoire, les cheveux dans le vent, une harpe à son côté… Ce Lamartine de la légende, couvé sous les douze ailes croisées de sa sainte mère et de ses cinq anges de soeurs, dolent, pieux, féminin, la harpe de David appuyée contre sa longue redingote, nous offense presque par je ne sais quoi de trop suave, de trop angélisé, de fadement théâtral. Si on voulait le mal prendre, ce serait tout justement le « grand dadais » qui déplaisait si fort à Chateaubriand.

Les recherches de MM. Deschanel et Reyssié lui prêtent un tout autre relief ; et, par conséquent, c’est ici l’histoire ou la critique qui « crée de la vie », et c’est la légende qui « en détruit ».