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été les bourreaux des Montmorency. » — Six ans après, cette enfant, mourant d’un bras gangrené, disait avec une tranquillité merveilleuse : « Voilà que je commence à mourir. »

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Ce qui rend plus intéressant encore, et même hautement dramatique, le tableau que la petite Hélène nous trace de l’Abbaye-au-Bois, c’est que, à l’heure même où elle écrit son journal, l’organisation sociale en vue de laquelle ces jeunes filles sont expressément élevées craque de toutes parts. Tandis qu’elles dansent, jouent de la harpe, se marient à douze ans ou prennent le voile à dix-huit, et qu’elles se disposent, par leurs plaisirs comme par leurs sacrifices, à soutenir la gloire de leurs maisons, peut-être que dans la rue, sous les longs murs du noble couvent, passe le petit robin qui leur fera couper la tête. Leurs maîtresses les préparent à être de grandes dames — et bientôt il n’y aura plus de grandes dames. Mais, en même temps et sans le savoir, elles les préparent à bien mourir. Leur éducation de filles nobles leur servira du moins à bien porter la détresse de l’exil — ou à bien monter sur l’échafaud.

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Tout cela est fini. C’est un monde entièrement disparu dont la petite princesse nous montre un coin. La noblesse, n’étant plus une institution sociale, a bien réellement cessé d’être. Tout est si fort changé qu’on ne peut même pas comparer l’Abbaye-au-Bois