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Ah ! les braves petites filles, si saines et si gaies ! Elles font bien de rire, et de se dépêcher. Car ces privilégiées sont aussi des sacrifiées. Que nos filles de bourgeois et d’ouvriers ne les envient pas trop !

Ces pensionnaires de la noble abbaye ont des noms illustres, toutes les jouissances de la richesse et de l’orgueil — et notamment le plaisir de se croire pétries d’une autre argile que les « Petites Cordelières », les pensionnaires du couvent bourgeois d’à côté. Mais vraiment elles payent bien tous ces avantages. Pas de tendresse ; pas de vie de famille, jamais ; les pères absents ; les mères occupées par une vie de parade. Leur famille, c’est la caste dont elles sont. C’est pour la conservation et l’honneur de cette caste que leur enfance se passe de caresses, et qu’elles ignoreront les libres fiançailles amoureuses.

Elles sont les victimes superbes de leur nom. À douze ans, on marie Mlle de Bourbonne à un vieux gentilhomme, M. d’Avaux ; puis on la ramène au couvent, où elle pleure chaque fois que son vieux mari la demande au parloir. Le cœur de ces petites est condamné à ne parler qu’après le mariage. Aussi se rattraperont-elles.

Il y a par malheur d’autres sacrifiées : celles qui prennent le voile pour conserver à l’aîné de quoi soutenir l’honneur du nom. Mme de Rochechouart elle-même, si sage, si sereine, fond quelquefois en larmes et, pour occuper son imagination, passe des heures à noircir du papier. Mlle de Rastignac, très