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le père reconnaît qu’il aime son enfant. (Ce n’est pas trop tôt !) Cependant il continue à se plaindre…

De quoi ? De n’être pas un saint. Il a lu les romans de Tolstoï et de Dostoiewski, et cela lui a donné un coup, — comme si ces Russes avaient découvert la charité et comme s’il n’en eût jamais entendu parler avant. Il se dit : « Vivre pour les autres, oui, c’est là le but de la vie. » Il nous raconte alors l’histoire d’une vieille demoiselle qu’il a connue dans son enfance, qui a passé ses jours à se dévouer, et qui, seule, paralytique, presque pauvre, sans une joie extérieure, a vécu sereine à force de résignation, de douceur et de charité. (Et tout ce récit, je dois le reconnaître, est un pur chef-d’œuvre.) Il veut donc, lui aussi, essayer de l’« altruisme ». Il va dans quelques réunions anarchistes et en revient totalement découragé par la brutalité et la stupidité des misérables. Il fait un autre effort : il prend dans sa maison, comme petite bonne, une orpheline assez mal élevée, qu’il est bientôt obligé de mettre à la porte. Il découvre très vite qu’il est incapable de pratiquer pour de bon, et dans la rigueur réelle de ses obligations, la « religion de la souffrance humaine », et qu’il n’est, comme tant d’autres, qu’un brave homme assez pitoyable et pas méchant, mais non pas héroïque… Et il souffre de cette constatation.

Il souffre enfin de n’avoir point de foi positive. La rencontre d’un ami, qui de sceptique est devenu croyant, augmente son angoisse et son désir. Il vou-