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Car il ne s’est pas vu, je pense, de tristesse plus purement intellectuelle. On est tenté, à première vue, de ne pas plaindre du tout M. Édouard Rod. Un commerçant, un ouvrier, un paysan ne le plaindraient point, ne le comprendraient même pas. Un artiste non plus. Un métaphysicien pas davantage, du moins je le crois. Il y a là, en effet, je ne sais quoi de contradictoire : la souffrance de M. Rod implique une distinction d’esprit dont il a sûrement conscience et qui lui est donc, par elle-même, une consolation. D’ailleurs, l’ignorance où nous sommes de nos origines et de nos fins ne saurait être une souffrance positive, puisque cette ignorance est la condition même de l’activité de l’esprit, laquelle est nécessairement un plaisir. Je ne fais point là de sophismes, je vous assure. Jamais désolation ne fut moins motivée, extérieurement, que celle de M. Rod. Jugez plutôt.

Le « sens de la vie », il le cherche de la meilleure manière qui soit : en vivant. Et, d’abord, il se marie. Cela, c’est affirmer tout au moins que l’homme est fait pour le mariage et pour l’amour. Et ainsi, tandis que notre penseur se pose la question, il l’a déjà en partie résolue. Il doit donc être déjà un peu soulagé.

Mais, au reste, il a toutes les chances : il connaît depuis longtemps sa femme, qui est une petite amie d’enfance ; il l’aime et il est aimé d’elle. Sans doute il se demande si la vie en commun ne leur ménage