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que nous ne sommes pas, nous, dans le secret des dieux ; voilà tout.

La preuve que son sonnet est limpide, c’est que deux Américaines l’ont traduit : Mrs Sarah Helen Whitman et Mrs Louise Chandler Moulton. Au fait, peut-être les étrangers sont-ils plus aptes que nous à entendre cette poésie. Les bizarreries qui nous déconcertent leur échappent. Ils ne sont pas gênés comme nous par une tradition, par le souvenir d’une langue plus exacte et plus précise. Ils n’ont rien à oublier avant de lire.

Sur les poèmes de Poe (la traduction est d’une belle et audacieuse littéralité), je me récuse. Je ne suis capable de goûter pleinement que le Corbeau, où le symbole est si clair, si triste, si saisissant, où le never more revient si douloureusement, comme un tintement de glas. Quant au reste, ce sont de vagues, harmonieuses et mystiques rêveries sur l’amour et la mort. C’est de la poésie lunaire et nocturne :

« Les cieux étaient de cendre… C’était nuit en le solitaire octobre de ma plus immémoriale année… À travers une allée titanique de cyprès, j’errais avec mon âme ; — une allée de cyprès avec Psyché, mon âme… »

Ou bien :

« À minuit, au mois de juin, je suis sous la lune mystique : une vapeur opiacée, obscure, humide, s’exhale hors de son contour d’or et, doucement se distillant goutte à goutte sur le tranquille sommet