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les fils expier pour leurs pères et leurs aïeux ! Et ces châtiments d’innocents offensant en nous une irréductible idée de justice, comment ne ferions-nous pas ce rêve d’une transmission et d’une réincarnation des âmes ? — Mais cela n’arrange rien du tout, puisque ces âmes ne se doutent point qu’elles ont déjà vécu ni qu’elles rachètent leurs fautes antérieures… — Laissez-moi tranquille ! Et souvenez-vous, par exemple, de ce pauvre petit prince impérial massacré par les sauvages et venant mourir de si loin, d’une mort sanglante, sous la même latitude où était mort l’Homme de sang, son aïeul. Est-ce assez machiné ? Et sent-on assez là-dedans l’application d’une loi ? — Mais nous ne sommes frappés que des cas où cette loi semble appliquée : or il y en a des millions où rien de semblable n’apparaît. — Qu’en savez-vous ? L’histoire d’une famille peut exiger des siècles et des siècles pour que le drame moral y soit complet : patiens quia æternus. Et dès lors ces choses sont hors de notre prise. — Précisément. — Oui, mais cette obscurité même nous permet tous les rêves. Le roman de M. Gilbert Augustin-Thierry est un rêve horrible et édifiant à la fois de métempsycose hindoue. Mais la pensée d’où il est éclos a un tel caractère de beauté morale, et en même temps les circonstances extérieures où il se déroule ont un tel air de réalité, qu’on est tenté de se demander : Pourquoi pas ? C’est ce qu’a voulu M. Augustin-Thierry. Je tiens donc son livre pour excellent.