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« Il fut brave, et son cœur ne faiblit pas.

« — Eh bien, dit-il à sa femme, es-tu contente ?

« — Oui, dit-elle.

« Et ce oui, ferme, le rasséréna.

« Toinette et lui se regardèrent et, pour la première fois, peut-être, ils se comprirent…

« À cette heure ils ne regrettaient pas de s’être mariés jeunes et pauvres, car toute une vie robuste, par cela même, s’ouvrait encore devant eux.

« Pleins de résignation, mais aussi d’espoir, ils se contemplaient en leurs vêtements de deuil, en leur mélancolie d’émigrants. Fermes de cœur, André et Toinette, ramenant leurs yeux sur les enfants, échangèrent un tendre et mystérieux regard. Là-bas ils auraient des enfants encore, leur jeunesse en répondait ; ils n’auraient point à se dire : « Nourrirons-nous celui qui viendra ? » Ils donneraient à Marthe des sœurs et à Jacques des frères. Il sortirait d’eux toute une race, et c’était la vie vraie, naturelle, la vie simple et grande. Ils le voyaient à l’évidence, comme ils voyaient cette mer bleue qui les entourait… »

Ainsi le récit patient, d’observation minutieuse, se trouve soulevé, vers la fin, par un souffle de vaillance et d’énergique espoir ; et il nous plaît de retrouver et de reconnaître chez l’artiste raffiné, chez l’auteur de Pierrot assassin de sa femme, un peu de l’âme du soldat excellent dont il est le fils.

Je me sens moi-même, après des lectures comme celles-là, — commencées avec ennui, achevées avec émotion, — tout plein de confiance et tout prêt à me laisser consoler de la vie. Je suis tenté de ne plus croire ceux qui parlent de décadence et qui nous