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Nous comprenons que les nobles aient pu préférer la royauté à la patrie, ou plutôt confondre la patrie avec la royauté, et qu’ils aient cru pouvoir combattre la Révolution sans combattre la France. Mais à une condition expresse : ils devaient se montrer alors d’autant plus scrupuleusement soumis au roi et d’autant plus étroitement attachés à sa personne. Car, si, rebelles à la France révolutionnaire, ils étaient également rebelles au roi, on ne voit plus de quel droit ou de quel principe supérieur ils pouvaient se réclamer.

Or, non seulement ils désobéissent chaque jour au roi, mais ils parlent de lui avec insolence, avec mépris, presque avec outrage. Ils n’ont plus qu’un sentiment : la haine de qui leur a pris leurs biens et arraché leurs privilèges, le désir furieux de reprendre tout cela et de tirer vengeance de leurs ennemis. Rien de plus. Et, à coup sûr, cela est humain, mais cela est misérablement humain. Il est permis d’être très dur pour l’émigration, parce que, au fond, et sauf des exceptions que l’on pourrait compter, l’émigration eut l’âme médiocre et, parfois, elle l’eut basse.

On haïrait ces exilés impies s’ils n’étaient, après tout, fort à plaindre. La plupart des souverains d’Europe les rebutent durement parce qu’ils sont insupportables, mais aussi parce qu’ils sont malheureux. L’argent leur manque ; ils font tous les métiers pour vivre. Ces misères et cette bohème de