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Dame, lourds, massifs et noirs, et qu’on dirait façonnés pour Roland ou pour Eviradnus ; une chambre à coucher purpurine ; un lit carré, un lit royal, en fer et en noyer (pour changer un peu) ; partout du chêne sculpté et du fer forgé ; l’assemblage de meubles le plus majestueux, le plus imposant, le plus lugubre, le plus sinistre ; un mobilier de cathédrale dans la salle des gardes d’un château historique.

Ce que je vous décris là ? C’est la maison et c’est le mobilier d’un vaudevilliste.

D’un vaudevilliste de beaucoup de gaieté et, parfois, de beaucoup d’esprit, qui, depuis vingt-cinq ou trente ans, fournit au Figaro des facéties presque quotidiennes, et des vaudevilles et des opérettes aux plus joyeux théâtres du boulevard.

C’est sans doute pour cela qu’il est triste et que, ayant à s’arranger un intérieur, il a conçu et réalisé un musée de Cluny poussé au sombre. Il se reposait ainsi de sa gaieté professionnelle. Ou peut-être notre vaudevilliste avait-il entendu dire que tous nos grands comiques portaient en eux une mélancolie secrète et a-t-il cru qu’il seyait de les imiter du moins en cela.

Mais le malheureux avait trop présumé de ses forces. Il n’a pu supporter longtemps la tristesse accablante des objets majestueux dont il vivait entouré. Ces meubles qu’il a eu tant de peine à découvrir et à rassembler lui font peur à présent. Il n’en veut plus ; il les vend ces jours-ci aux enchères pu-