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été, ce que nous sommes sûrs qu’ils auraient fait s’ils avaient vécu. Qui dira ce qu’eût fait Henri Regnault ? Qui dira ce qu’eût fait Adrien Juvigny ? Les plus belles œuvres d’art et les plus beaux livres, ce ne sont peut-être pas ceux que nous avons, mais ceux qui devaient sortir de l’âme de tous ces jeunes morts. Sans doute ils achèvent leur tâche ailleurs. Si quis piorum manibus locus, nous retrouverons cet art et cette littérature d’outre-tombe, qui seront la joie du paradis qu’il est permis de rêver. Un Dieu moissonne les adolescents de génie et les belles jeunes filles, afin que ses élus soient un jour réjouis par leur beauté et par leurs chants ; et le printemps éternel sera fait de ces printemps humains brusquement interrompus… Je livre cette idée consolante et déraisonnable à quelque poète spiritualiste.

Revenons au livre posthume de Paul Chalon. Il y a dans les Violettes une jeunesse et une fraîcheur de sentiment tout à fait charmantes… Nous sommes pleins de bienveillance pour les morts que nous avons connus et aimés. Nous les transfigurons sans y prendre garde. De loin, leur jeunesse paraît plus fleurie, plus avide de vie et de lumière, — parce qu’ils ne jouissent plus du soleil ; et leur tendresse paraît plus tendre, — parce que leur cœur ne bat plus. Nous nous disons : « Quoi donc ! ils étaient ainsi ? » Et c’est comme si nous les découvrions.

Mais, parmi d’autres pages où, sous une forme en-