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douce du crapaud par les soirs élégiaques…

Je continue d’errer. Je suis seul, absolument seul. Le silence est complet, un silence énorme, pour parler comme Flaubert. Et ce silence est d’autant plus étrange que tous les édifices de cette cité des songes sont éclairés intérieurement. Un seul bruit, bizarre et sec, bruit de crécelle, de roue dentée : cra cra… cra cra cra… À chaque instant, et de tous les côtés à la fois, j’entends ce léger grincement. D’où vient-il ? De quelles bêtes invisibles ? Vraiment cela est sinistre, cela rappelle les imaginations d’Edgar Poe… Mais je découvre tout à coup que ce bruit vient des globes de lumière électrique. Par quoi est-il produit ? Je ne suis pas assez grand clerc pour vous l’expliquer.

Je regagne l’allée centrale.

De petits hommes jaunes la traversent de temps en temps. Deux nègres, l’un habillé de rouge et l’autre de blanc, causent avec le petit soldat qui est en faction à la porte du palais de la Guerre. Une Fatma du concert tunisien, enveloppée d’un manteau sombre, et grelottante, passe au bras d’un homme à fez. L’un des nègres lâche une plaisanterie nègre, en sabir. Fatma riposte. Le petit soldat s’en mêle : il en trouve de drôles, le petit soldat. Les deux bons nègres se tordent. Et je me sens flatté dans mon amour-propre national…

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