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may, la joie des lettrés, des curieux, ni des membres des classes dirigeantes. Elle n’avait pas été, elle, présentée à M. Renan. Mais elle ravissait, elle enthousiasmait la vraie foule. Notre grosse Demay fut « à la mode » ; la pâle Amiati était « populaire ».

Je me souviens de l’avoir entendue en 1872. C’était une grande fille brune, le visage à la fois tragique et ingénu, une voix généreuse, étoffée, avec de belles notes de contralto. En ce temps-là on se recueillait, on essayait de devenir sérieux, et l’on venait de découvrir que c’était le maître d’école allemand qui nous avait vaincus. Et c’est pourquoi Amiati chantait des chants patriotiques et des couplets sur les réformes de l’enseignement. Avec une conviction religieuse, elle lançait des refrains comme celui-ci :

  Un peuple est fort quand il sait lire,
  Quand il sait lire, un peuple est grand !

ou des vers de cette force :

  L’instruction laïque, obligatoire,
  Doit être enfin le dogme des Français !

(Prononcez « l’instructi-on », fredonnez cela sur l’air de T’en souviens-tu ? ou sur un air de même qualité, et vous pourrez vous rendre compte de l’effet.)

Elle a chanté ces choses-là pendant dix-huit années, la bonne Amiati. Elle y joignait la romance sur l’amour maternel, sur les pauvres, sur le printemps.