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quand d’aventure vous vous promenez dans la rue ?… Alors contentez-vous. Cela fera bien des statues. Mais quand on les aime !

Pour moi, il en est peu, je l’avoue, que je regarde avec plaisir. J’excepte, si vous voulez, le maréchal Ney de la place de l’Observatoire, à cause de son geste ; le Dante qui est devant le Collège de France, à cause de son beau grand nez et de sa capuce ; le Dumas de la place Malesherbes, à cause de sa bonne tête ; et le Lamartine du square de Passy, à cause de son lévrier… Les autres ne me disent pas grand’chose.

Il y a, boulevard Haussmann, un Shakespeare qui pourrait être, indifféremment, un Bernard Palissy, un Ronsard, un Jean Goujon, ou n’importe quel autre personnage du seizième siècle. De même pour nos contemporains : il n’y a rien qui ressemble à un bonhomme en redingote et en bronze comme un autre bonhomme de bronze en redingote. Sont-ce de nouvelles redingotes de bronze que vous voulez semer sur nos places ?

Je comprends les Grecs dressant aux athlètes vainqueurs des statues en pied et nues. Mais chez nos grands hommes, c’est la tête seule qui est intéressante et expressive. Il ne faut donc pas la percher si haut, sur un corps inutile, qu’on n’en puisse plus du tout distinguer les traits dans la noirceur du bronze. Si vous m’en croyez, monsieur, vous élèverez aux morts que vous aimez non point des statues,