Page:Lemaître - Les Contemporains, sér5, 1898.djvu/312

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pas Parisiens pour un sou. Ils viennent du Midi, d’un Midi âpre et rude, qui n’a rien de commun avec celui de Tartarin : c’est pour cela qu’avec tout son talent Jean-Paul a si mal joué Numa. Ils sont d’origine huguenote. Ils seraient encore huguenots au fond que je n’en serais pas trop surpris. En tout cas, ces deux comédiens sont hommes de grand sérieux et de grande foi.

La noble candeur de Mounet-Sully est célèbre. Il y a, chez lui, de l’inspiré. Il ose tout, il n’a pas le moindre sentiment du ridicule. Après avoir rugi comme un lion, il se mettra à pousser, pendant plusieurs minutes, de petites plaintes de nouveau-né. C’est qu’il sent comme cela. Sa sincérité et, par suite, sa sécurité est admirable. Son art est vraiment toute son âme. Il s’est préparé des années au rôle d’Hamlet, travaillant à se donner réellement et partout, chez lui, dans la rue, en prenant un bock, en mangeant une côtelette, l’air, les pensées, les sentiments du prince de Danemark. Il me disait que, deux fois, dans Hamlet et dans OEdipe roi, il avait eu un moment sublime, un moment où il croyait être, où il était vraiment OEdipe ou Hamlet. Il vous confie ces choses avec une gravité sacerdotale. Il a des mots singuliers. Un jour, à une répétition, son partenaire lui soufflant sa réplique : « Vous savez donc mon rôle ? dit Mounet très étonné. — Oui. — Mais, si vous savez d’avance ce que je vais dire, comment pouvez-vous m’écouter et me répondre avec vérité ? »