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lisent ne font aucune attention au nom de l’auteur. Quant à moi, ma cousine… Un vieux vigneron me demandait l’autre jour : « Alors t’écris ? — Dame ! oui. — Et tu gagnes ta vie ? — Tout de même. » J’ai bien vu que le mot « écrire » ne représentait pour lui qu’un travail de copiste. Mais ceux même qui comprennent (en gros) ce que c’est que la profession d’écrivain en font peu de cas et mettent n’importe quelle fonction publique fort au-dessus. Lorsque je quittai l’Université, une vieille amie, à qui je tâchais d’expliquer ce que j’allais faire à Paris, me répondit : « Tu diras tout ce que tu voudras, j’aimais mieux ce que t’étais avant. Je trouvais ça plus grandiose ! »

C’est pourquoi, ma cousine, je voudrais être un grand propriétaire terrien. Car j’occuperais alors dans la pensée de quelques milliers de paysans une place infiniment plus honorable que celle du plus illustre écrivain. Et puisque la gloire consiste dans ce que les autres hommes pensent de nous, la mienne, plus restreinte, serait assurément plus réelle, plus sensible, que celle de M. Zola ou de M. de Montépin. J’en jouirais plus qu’ils ne jouissent de la leur. Et j’aurais aussi les plaisirs du commandement, de la domination directe. Ma gloire me serait, si je puis dire, plus présente.

Achetons de la terre, ma cousine, et plaignons les pauvres citadins.