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et l’asile. L’air qu’on y respire est un baume aux blessures qu’on rapporte d’ailleurs, un infaillible antidote aux poisons du coeur et de l’esprit.

À peine suis-je dans ce petit coin ombreux, que je me sens enveloppé d’une profonde paix. Paris est si loin ! Ce qui, à Paris, me semblait considérable, ce qui me troublait et me faisait mal, ce qui me remplissait de convoitise, de regrets ou de rancune, ah ! comme tout cela est oublié ! Car ce qui exaspère les plaisirs ou les chagrins de la vanité, c’est d’être mêlé aux hommes qui estiment et qui poursuivent les mêmes biens que vous. Mais comme la solitude vous apaise, et comme elle vous délie ! Même les autres douleurs, les douleurs plus intimes et plus profondes, quand d’aventure on en a, s’engourdissent et s’ensommeillent ; on ne sent plus qu’une petite morsure secrète, de temps à autre, un sourd memento de souffrance. Ainsi rapproché de la terre antique et de la vie des choses, sentant tout autour de soi l’action imperturbable des forces éternelles, on est moins tenté de s’en faire accroire sur l’importance d’une vie humaine, fût-ce une vie de journaliste. Mes chances de douleur se trouvent ici réduites de plus de moitié. Je vous assure, ma cousine, que je suis presque invulnérable derrière mes peupliers.

Ce n’est pas tout. J’ai le jugement bien meilleur et l’esprit bien plus large qu’à Paris. Rien de plus étroit que le point de vue d’un chroniqueur du boulevard ou d’un homme politique. Ici, je vois de tout près et