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droit, qui vient de là-bas et qui va là-bas, tout exprime avec une force et une simplicité merveilleuse l’idée de passage et de fuite. Et alors j’ai eu plaisir à songer que l’homme, demi-employé, demi-paysan, qui roulait mes colis, avait quelque part, au village voisin, un toit, un lit, une soupe qui l’attendaient, un foyer indigent, mais stable et attaché au sol… Ne vous est-il jamais arrivé, ma cousine, quand vous voyagez la nuit, d’être tout attendrie en apercevant, par la portière, les fenêtres éclairées de quelque pauvre maison, un coin d’intérieur, des têtes autour d’une lampe, et d’en avoir tout à coup le cœur serré de regret et de tristesse ? Tant il est vrai que nous portons en nous un égal et contradictoire besoin de mouvement et de repos, et que, lorsque nous avons l’un, nous souhaitons l’autre. Et tant pis si ce que je vous dis là n’est pas neuf. C’est qu’en effet notre misère est vieille comme le monde.

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                                       Paris, 31 juillet.

MA COUSINE,

Je suis rentré à Paris, hier, et j’ai eu bien de la peine à regagner ma rue, à cause de la foule qui attendait le shah de Perse. Il y avait des gens entassés jusque sur le pont de l’Europe. Ceux-là voulaient, faute de mieux, voir le train où était le shah !