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                                       G…, 30 juillet.

Puisque vous êtes mélancolique à vos heures, ma cousine, laissez-moi vous dire deux impressions assez singulières de solitude et de silence que j’ai eues ces deux derniers jours.

J’ai eu la première dans un endroit où l’on ne songerait guère à aller la chercher. C’est le soir, dans un recoin de l’Exposition des colonies, entre dix et onze heures. La foule est au Champ-de-Mars, à la Tour, aux fontaines lumineuses. Ici, à l’Esplanade, tout se tait. En choisissant bien sa place, on voit, à la clarté bleuâtre des lampes électriques, toutes sortes d’édifices bizarres se renverser, très nets, dans un petit étang. Un vrai paysage de potiche ! De temps en temps des silhouettes d’Arabes, de nègres, d’hommes jaunes, glissent silencieusement. On se croirait perdu, seul, tout seul, dans un pays magique, dans une ville de féerie…

Le lendemain, comme j’allais voir des parents que j’ai en Beauce, j’ai attendu longtemps un train dans une petite gare, sur une ligne « d’utilité locale ». Oh ! la détresse de cette maisonnette solitaire, dans l’immense plaine, au soleil couchant, le jardinet près de la voie et, à droite et à gauche, les rails qui fuient, luisants sous la pâle lumière oblique, et se rejoignent à l’horizon !… Ce jour qui tombe, ce chemin droit, tout