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qu’ils souffrent beaucoup moins que nous dans leur chair et dans leur âme. Leur pays, là-bas, est fertile et beau ; ils y vivent doucement, sans excès de travail. Et je vous répète que ce ne sont point des brutes : ils sont doux ; leurs femmes sont chastes ; ils ont, comme les autres hommes, leurs dieux, qui sont de bons petits dieux, des fétiches, des poupées qu’ils prient, et qui les exaucent quand cela se rencontre…. Il y a comme cela, paraît-il, dans cette mystérieuse Afrique, des peuples innombrables, pas plus méchants que nous, qui jouissent paisiblement de l’air du ciel et des fruits de la terre, qui vivent dans un état de paresseuse demi-civilisation agricole et pastorale, et qui depuis sept mille ans n’avaient point fait parler d’eux. Nous sommes, sans vanité, plus intelligents ; mais, puisque tout est vain, qui osera dire que ces nègres sans prétention n’ont pas résolu mieux que nous le problème de la vie ?

Comme je sortais du hameau noir, j’ai vu, près de la porte, une femme du peuple qui exhortait son petit garçon, un enfant de trois ou quatre ans, à embrasser un négrillon du même âge. Le petit nègre était autrement joli et robuste que le petit blanc. Le petit blanc sera ouvrier, travaillera du matin au soir, mènera la dure vie du prolétaire dans une civilisation industrielle, lira de mauvais journaux, aura des idées fausses et incomplètes… Et ainsi, songeant à ce que deviendraient ces deux petits, c’est du petit blanc que j’ai eu pitié.

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