Page:Lemaître - Les Contemporains, sér5, 1898.djvu/26

Cette page n’a pas encore été corrigée

ment et solitairement. Point de servante ; une femme de ménage venait seulement deux heures chaque matin pour faire le gros ouvrage. Mme Malapert préparait elle-même les repas. On déjeunait de café au lait ; on dînait à midi d’un potage, d’un plat de viande et d’un légume, et le soir, à huit heures, on soupait des restes du dîner et d’une salade. Rarement un extra, plus rarement encore un dîner en ville. Le rigide M. Malapert, ayant pour principe « qu’on ne doit jamais accepter ce qu’on ne peut pas rendre », refusait impitoyablement toute invitation. De loin en loin seulement, en hiver, quelque voisin venait jouer au piquet ou à la brisque. Alors on tirait de l’armoire une bouteille de fignolette, liqueur fabriquée avec des vins doux et des épices, et l’on mangeait des marrons rôtis sous la cendre. On ne se ruinait pas en toilette : Mme Malapert prolongeait pendant cinq ou six années la durée de ses robes et de ses chapeaux ; M. Malapert portait en semaine un habit-veste de gros drap et un gilet de laine tricotée ; pour les grands jours, il avait une redingote noire « dont il ne voyait pas la fin ». La garde-robe de Séverin était des plus élémentaires. Mme Malapert avait des doigts de fée pour rapetasser et rallonger les vieux vêtements, et, bien que son amour-propre en souffrît, le jeune homme devait se contenter de grosses chemises lessivées à la maison et de chaussettes tricotées par sa mère…

Moi, des pages comme celles-là me ravissent. Elles pénètrent mieux en moi que les plus tendres élégies des poètes. Car l’élégie est aristocrate et supprime les dures conditions de la vie réelle. Et les romans romanesques en font autant. Je ne sache pas de livres qui, plus souvent que ceux de M. Theuriet, aient ravivé en moi les chères impressions d’enfance. George Sand nous a montré des gentilshommes