Page:Lemaître - Les Contemporains, sér5, 1898.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

À M. le vicomte Eugène Melchior de Vogüé.

                                       Paris, 13 juillet.

Je viens de lire, monsieur, les pages fort éloquentes que vous avez écrites, dans la Revue des Deux-Mondes, sur l’Exposition et sur la tour Eiffel. Vous avez l’imagination fastueuse, avec quelque chose, parfois, d’un peu concerté. Le labarum que vous voyez au sommet de la tour, formé par l’entre-croisement des jets de lumière électrique, est à coup sûr une image expressive, mais non point sans apprêt. Cela rappelle les ibis que Chateaubriand place si ingénieusement sur les colonnes solitaires, ou le lézard du Colisée, qui, dans les vers de Lamartine, vient cacher si à propos le nom d’un empereur romain.

Mais vos nobles artifices ne vous empêchent pas d’être profondément sincère. Vous êtes une âme sérieuse et inquiète. Nul n’a mieux vu ni constaté plus douloureusement que vous la grande misère de ce temps : indifférence, dilettantisme, impuissance à croire. Il y a de l’apôtre en vous. Vous nous avez révélé la beauté spirituelle du roman russe, et vous nous avez fait honte de notre littérature de mandarins. Vous avez mis à la mode l’âme slave et l’évan-