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nous disions : « Voici un Anglais, un Américain du Nord, un Américain du Sud, un pasteur norvégien, une jeune « esthète », un marchand de vins de Bordeaux, une doctoresse russe, un pianiste hongrois, un conseiller municipal de Paris, etc., etc… » Joignez à cela les Chinois, les Japonais, les Arabes et toute une procession de nègres plus noirs que nos habits…

Station chez Ledoyen pour prolonger le plaisir bizarre de contrarier la bonne nature et pour nous donner la joie de manger, de boire, de regarder, d’échanger d’inutiles paroles à l’heure où « la nuit bienveillante », comme l’appelaient les Grecs, conseille aux hommes de dormir.

Quand nous sortons du restaurant, l’aube chaste baise déjà le front de Paris. L’heure est singulière : c’est l’heure blafarde. Les choses ont des teintes qu’on ne leur connaissait pas. Les arbres des Champs-Élysées sont d’un vert blessant. Le ciel est rose, d’un rose vif, derrière la Madeleine. Les lumières errantes des fiacres font le jour plus blême et plus froid. Dans la rue Royale, les façades de certaines maisons ont un éclat dur ; et l’on voit, loin, très loin, à des centaines de mètres, marcher des blancheurs crues. Ce sont les plastrons de chemise de messieurs qui reviennent, comme nous, de la fête.

J’aurais voulu vous rendre mieux mes impressions, ma cousine ; mais j’ai trop peu dormi, et je sommeille encore en vous écrivant.

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